Cette œuvre fait partie d’une série d’installations s’inspirant des fêtes populaires. Elle a été réalisée en direct avec la participation du public sur la passerelle Léopold Sédar-Senghor.
Les fêtes populaires sont des vecteurs de lien et d’altérité. Elles rythment et scandent le temps par leur répétition en rassemblant les participants autour d’un thème simple. Ces moments se situent dans un interstice propice à la rencontre et à la félicité, offrant une temporalité en parallèle du travail, de la famille ou des loisirs. Robert Stadler dit de l’art populaire qu’il « naît loin des sociétés de consommation, basé sur la tradition d’un peuple échappant à la question du goût, du style et de la mode. L’art populaire est donc avant tout un art local. Décontextualisé, l’art populaire fascine par une curiosité désarmante (…) c’est la conscience de l’art contemporain. » Pour Gerard Deschamps « ce terme ne désigne pas seulement celui qui perpétue des traditions anciennes ou même récentes, il peut tout aussi bien qualifier un art qui trouve son public. » Je rajouterai ici, qu’il trouve sa place dans l’espace public, où les individus et les idées peuvent se rencontrer en toute liberté.
Pour la fête du travail, j’ai proposé aux passants ma réflexion sur le métier d’artiste : « Comment, par nécessité, les artistes sont-ils amenés à s’éloigner de leur domaine d’activité ? »
Le public était convié à réaliser des avions en papier avec mes CV, mes lettres de motivation et les offres d’emplois auxquelles j’ai postulé. Une fois les avions confectionnés, ils les accrochaient à la rambarde du pont. La question du travail était abordée avec humour et légèreté.
Les passants étaient curieux, ils ouvraient les avions pour lire, ils s’interrogeaient sur la raison de ceux-ci: « Des vœux pour trouver un emploi ? Un employeur qui utilise une nouvelle technique de recrutement ? » Ils ont été sensibles à cette action. Lors du premier essai pour cette installation, j’étais toujours à la recherche d’un emploi. Les passants faisaient preuve d’encouragement et de soutien. Des conversations ont été initiées sur le statut de l’artiste, comment le définir, qu’est ce qu’un artiste ? Est-ce que la problématique du compromis face au travail peut être élargie à tous les corps de métier ?
Les participants étaient généralement accompagnés d’enfant, reléguant les activités manuelles au domaine de l’enfance. Réaliser un pliage d’avion en papier n’est pas une activité sérieuse, elle est donc pour les enfants. En témoignage du public : « Cette activité était l’occasion de ressentir ma capacité à participer à une production de façon autonome et de céder à ma crainte de l’échec en public qui me conduit si souvent à être passif. »
Origine de cette installation :
A mon retour du Japon, j’ai décidé de me réinstaller sur Paris. J’ai commencé à chercher du travail en tant que médiatrice dans les musées ou les structures culturelles. Après quelques mois de recherche, puisque rien n’aboutissait, j’ai ouvert mon champ d’action à des métiers que j’estimais plus facile : assistante en communication, agent touristique, hôtesse d’accueil, serveuse, etc. J’extrayais de mes expériences les compétences qui étaient requises pour ces emplois. N’ayant toujours pas de réponse, je suis revenue vers mon cœur de métier en lien avec les arts visuels. J’ai postulé à une annonce pour être artiste-animatrice d’atelier d’arts plastiques et ma candidature a été retenue.
Ce premier mai, la météo était orageuse avec un fort vent qui a donné de l’ampleur à l’installation, les avions s’envolaient réellement en se déchirant de leur point d’attache. L’aspect éphémère était très prégnant, je raccrochais continuellement des nouveaux avions, ayant l’impression de devenir Sisyphe ; comme trouver un travail adéquat, un recommencement perpétuel.